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ILS NOUS DISENT

Etat d'âme
La légende de Gabriel - 5

5 - Deuil

C’est alors qu’un horrible hurlement déchire l’air. Pétrifiés, glacés jusqu’aux tréfonds de l’âme, pantelant de terreur, ils brandissent les torches, se dévisagent, hésitent et ils se précipitent les armes aux poings. Ils n’ont pas parcouru un long trajet qu’ils le voient, le puissant parmi les puissants, le vaillant parmi les vaillants, le preux parmi les preux, ils le voient dans la pale lueur jaune des torches, ils voient le corps d’airain de leur prince secoué de profonds sanglots silencieux, agenouillé sur les pavés glacés, les bras tendus vers le ciel plombé, les mains soutenant le corps sans vie de sa “petite mère”. Offrande sans prix au dieu impitoyable. Et tous s’agenouillent. Et voilà qu’ils pleurent, ces invincibles guerriers, le cœur endurci par tant de massacres, par tant d’horreurs, par tant de sang versé. Comme des enfants, ils pleurent à chaudes larmes les années perdues loin des leurs. “Petite mère”, leur mère à tous n’est plus. Aucun d’entre eux ne pourra jamais dire combien de temps ils sont restés ainsi. Le temps s’est arrêté… Instant d’éternité… Le prince est devant eux qui leur dit de se hâter, de retourner chercher leurs chevaux, qu’il part immédiatement pour les ruines des Thermes des sources chaudes… pour les ruines  ? … «  On ne discute pas avec le roi  !  »… Le roi ?… Mais déjà, il est parti. Les bras chargés du corps de “petite mère”, il s’évanouit dans le gouffre noir et sans fin.

Une pluie fine, glaciale, se mit à tomber doucement.

Sans aucun arrêt, ils chevauchèrent une bonne partie de la nuit sous la lumière pale d’une dizaine de lanternes brandies au bout de longues perches. Ils formaient une haie d’honneur et encadrait leur prince, leur roi qui  marchait, silencieux, au centre de la voie, portant toujours son précieux fardeau, imperturbable, infatigable. La pluie tombait encore, drue. Elle avait chassé toutes traces de l’infecte brouillard. Elle les avait lavés de toutes leurs souillures. Quand ils arrivèrent aux Sources Chaudes, le roi leur dit de prendre quelques repos. Il leur affirma qu’aucun danger ne menaçait. Mais ils se récrièrent, ils ne pouvaient dormir si le roi restait éveillé. L’ordre cingla et pas un ne put soutenir le regard de braise. Il devait être seul pour accomplir les rites d’inhumation. Sous aucun prétexte, il ne devait être dérangé. Ils sauraient, le moment venu, tout ce que “petite mère” lui avait apprit. Ils le regardèrent disparaître dans les ruines imprécises, le pauvre corps sur les bras, une lanterne dans une main, fragile étoile dansante qui s’éteint dans l’obscur sans fond. Ils s’effondrèrent, un à un, terrassés par l’indicible fatigue.

A suivre...

Ecrit par , le Lundi 22 Septembre 2003, 16:42 dans la rubrique "Nouvelles".
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