En ce coin de Bretagne,
un jour, si vous passez,
Prenez le temps d'entendre
les vieux qui racontent
un bien étrange conte,
mélancolique et tendre.
Ils vous diront que, certains soirs,
par temps de morte lune,
bien avant la nuit noire,
s'élève, là haut, sur la dune
à l'heure où le ciel s'enflamme,
une voix triste, chaude comme la flamme.
Ils vous diront d'aller voir
au pied du vieil arbre disgracieux,
cette forme lumineuse au visage gracieux
qui pleure doucement, face à la mer,
des larmes froides et amères,
alors que descend la nuit noire.
Ils vous diront d'attendre
qu'apparaîssent les premières étoiles
vous verrez, alors, par dessus les vagues noires,
monter une forme blafarde, vêtue de rudes toiles
et entendrez le triste chant devenir, victoire !
un doux chant d'amour, joyeux et tendre.
Ils vous diront que vous pourrez voir, alors,
les deux formes éthérées, l'une vers l'autre, s'élancer
et tendrement, délicatement, en s'embrassant,
dans un gracieux mouvement dansant,
sur les vagues apaisées, s'éloigner, enlacés,
et disparaître, en un lumineux éclat d'or.
Un jour, si vous passez
en ce coin de Bretagne...
Un jour, si vous passez, en ce coin de Bretagne, les vieux vous conterons l'histoire de cette jeune mariée, qui a vu, un soir de ciel ensanglanté, la mer déchaînée lui enlever son homme. Ils vous conteront l'histoire de cette dame qui, durant toute sa longue vie, est allée, chaque soir à même heure, chanté à la mer son amour perdu.
Ils se souviennent bien, allez, quand, enfants, tous le pays s'est rassemblé sur la grève devant "la vieille dame qui chante à la mer".
Ils se souviennent bien. Elle était là, adossée au tronc du vieil arbre torturé par les vents du large, comme endormie, assise dans ses grands habits noirs, son beau visage parcheminé mouillé par les embruns, les yeux grands ouverts, son regard perdu sur l'horizon aux nuages couleur de feu, ses longs cheveux blancs défaits et détrempés dans le vent hurlant et claquant comme autant d'oriflammes... et ce sourire ! Oh ! Ce sourire ! Ce sourire qui semblait dire à la mer furieuse : "Mon Amour, j'arrive !".
Ils jureraient, avoir entendu, un merveilleux chant d'amour et vu deux formes blanches luminescentes s'éloigner vers le large en dansant sur les vagues soudain apaisées.
En ce coin de Bretagne,
un jour, si vous passez...
à 16:00